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Crise de la majorité gouvernementale : chronique d’une fracture politique

Portrait d'un homme en costume:::Un homme au cheveux grisonnants, portant un costume noir, regarde directement vers l'objectif avec un air sérieux.

Le 25 juin 2025, la scène politique française a été secouée par une crise profonde au sein de la majorité gouvernementale. François Bayrou, Premier ministre depuis quelques mois seulement, se retrouve à la tête d’un exécutif fragilisé, dont le « socle commun » se fissure chaque jour davantage. Retour sur une semaine décisive, symptôme d’un malaise institutionnel et politique qui menace la stabilité de la Ve République.

Un « socle commun » en miettes

La majorité élargie sur laquelle s’appuie François Bayrou, ce fameux « socle commun », n’a jamais semblé aussi divisée. La réunion informelle organisée à Matignon le 25 juin, censée rassembler les principales figures de la majorité , Édouard Philippe, Gabriel Attal, Gérard Larcher et d’autres ténors n’a pas suffi à dissiper les tensions. L’objectif de ce dîner : resserrer les rangs, désamorcer les rivalités internes et afficher une unité de façade devant l’opinion publique. Mais la réalité est tout autre.

Le malaise s’est cristallisé lors du vote sur la taxe Zucman, une mesure emblématique de la politique fiscale du gouvernement. Seuls 38 députés sur les 210 que compte le « socle commun » étaient présents dans l’hémicycle, révélant l’ampleur de la désaffection et de l’absentéisme au sein de la majorité. Ce chiffre, plus que tout autre, incarne la crise de confiance qui mine l’exécutif.

Des Républicains frondeurs et une droite en recomposition

Les Républicains (LR), pourtant membres du gouvernement, multiplient les actes de dissidence. Ils votent régulièrement contre les textes portés par François Bayrou, notamment sur des sujets sensibles comme les zones à faibles émissions ou le moratoire sur les énergies renouvelables. Cette attitude frondeuse s’inscrit dans un contexte de recomposition à droite, marqué par la récente élection interne du parti2.

Le congrès des Républicains de mai 2025, remporté par Bruno Retailleau, a laissé des traces profondes. La droite, déchirée entre partisans d’une alliance avec le Rassemblement national et défenseurs d’une ligne indépendante, hésite sur la stratégie à adopter. Certains élus LR, lassés par l’immobilisme gouvernemental, se rapprochent désormais ouvertement du parti de Marine Le Pen, accentuant la pression sur la majorité.

Un gouvernement d’« autoentrepreneurs »

La crise actuelle n’est pas seulement le fruit de divergences idéologiques. Elle s’explique aussi par une personnalisation croissante de la vie politique. Autour de la table de Matignon, chacun joue sa partition, souvent avec en ligne de mire la prochaine présidentielle. Un proche du Premier ministre résume la situation d’un trait d’humour amer : « C’est un gouvernement d’autoentrepreneurs »1. Les ministres, plus soucieux de leur avenir personnel que de l’intérêt collectif, peinent à incarner une action cohérente.

Cette fragmentation se manifeste jusque dans la gestion des priorités gouvernementales. François Bayrou a rappelé dans un courrier à tous les groupes parlementaires ses axes d’action : éducation, accès aux soins, fonctionnement de l’État, budget et défense. Mais le message ne passe plus. Les critiques fusent, y compris au sein de la majorité, sur le manque de vision et la difficulté à incarner le cap fixé.

L’échec du conclave sur les retraites : symptôme d’un malaise plus profond

L’un des épisodes les plus révélateurs de cette crise reste l’échec du conclave sur les retraites. Après quatre mois de concertation, la négociation s’est soldée par un constat d’impuissance. Le gouvernement, en verrouillant d’emblée la question de l’âge de départ à la retraite, a braqué syndicats et partenaires sociaux. Ce dialogue social, qualifié de « monologue antisocial » par l’opposition, a souligné l’incapacité de l’exécutif à construire un consensus sur un sujet pourtant crucial pour la société française.

Pour les analystes, cet échec s’inscrit dans la continuité d’une crise démocratique plus large. La fonction de Premier ministre, affaiblie par l’inversion du calendrier électoral et la présidentialisation du régime, ne parvient plus à incarner l’autorité nécessaire pour conduire la politique de la Nation. François Bayrou, comme ses prédécesseurs, subit les conséquences d’une réforme institutionnelle qui a relégué Matignon à l’arrière-plan.

Une Assemblée nationale sous tension

La fracture du « socle commun » se lit aussi dans l’atmosphère électrique qui règne à l’Assemblée nationale. Les séances sont régulièrement suspendues dans un vacarme assourdissant, les alliances de circonstance se font et se défont au gré des textes examinés. Les Républicains, parfois rejoints par les députés Horizons ou les centristes, n’hésitent plus à déposer des amendements contre les projets du gouvernement, quitte à s’allier ponctuellement avec le Rassemblement national.

Cette instabilité complique l’adoption de textes majeurs, comme la réforme du mode de scrutin municipal ou la loi simplification. Les coups de fil de dernière minute pour rameuter les troupes sont devenus monnaie courante, révélant la fragilité d’une majorité qui ne tient plus que par la peur d’une dissolution.

La menace de la censure et le spectre de l’immobilisme

Face à cette désunion, François Bayrou est contraint de négocier avec la gauche pour éviter une motion de censure. Le 24 juin, les députés socialistes ont déposé une telle motion, sans disposer toutefois de la majorité nécessaire pour faire tomber le gouvernement7. Le Rassemblement national, arbitre potentiel, entretient le flou sur ses intentions, laissant planer la menace d’une chute de l’exécutif à tout moment.

Cette situation de blocage institutionnel nourrit le sentiment d’impuissance du gouvernement. Les mesures phares sont abandonnées ou vidées de leur substance, les arbitrages se font dans la douleur, et l’opinion publique assiste, désabusée, à un spectacle de divisions et de renoncements.

Les Républicains à la croisée des chemins

Le parti Les Républicains, clé de voûte du « socle commun », s’interroge ouvertement sur son avenir au sein du gouvernement. Depuis début juin, les discussions sur une possible sortie du gouvernement se multiplient3. La question de la proportionnelle aux législatives, la gestion des dossiers écologiques ou encore la réforme des retraites sont autant de motifs de rupture potentielle. Le nouveau président du parti, Bruno Retailleau, doit composer avec une base militante tentée par une alliance avec le Rassemblement national, ce qui accentue la pression sur la majorité gouvernementale.

Un climat politique délétère

La crise de la majorité gouvernementale ne se limite pas à une querelle de personnes ou à des désaccords ponctuels. Elle traduit un malaise plus profond de la démocratie française, confrontée à la montée des extrêmes, à l’effritement des partis traditionnels et à la défiance croissante des citoyens envers leurs représentants. Les débats sur la réforme des retraites, la fiscalité ou l’écologie deviennent autant de champs de bataille où s’expriment les frustrations d’une société en quête de repères.

Dans ce contexte, François Bayrou tente tant bien que mal de maintenir le cap. Mais son autorité est contestée, son action entravée par des partenaires qui ne partagent plus la même vision de l’avenir. L’exécutif, devenu « gouvernement d’autoentrepreneurs », peine à incarner l’intérêt général et à répondre aux attentes d’une population lassée par l’instabilité et l’inefficacité du pouvoir.

Quelles perspectives ?

L’avenir de la majorité gouvernementale reste incertain. La menace d’une motion de censure, même peu probable à court terme, plane toujours sur Matignon. Les Républicains pourraient choisir de quitter le gouvernement, précipitant une recomposition politique majeure. La gauche, quant à elle, se prépare à jouer un rôle d’arbitre en cas de chute de l’exécutif, tandis que le Rassemblement national guette la moindre occasion de renforcer son influence.

Dans ce climat de défiance et de divisions, la France entre dans une zone de turbulences politiques dont nul ne peut prédire l’issue. La crise du « socle commun » n’est pas seulement celle d’un gouvernement, mais celle d’un système politique à bout de souffle, qui cherche encore les voies d’un renouvellement démocratique.

La crise de la majorité gouvernementale du 25 juin 2025 restera comme un moment charnière de la vie politique française. Elle révèle les fragilités d’un exécutif prisonnier de ses contradictions, les ambitions personnelles qui minent l’action collective, et la difficulté à construire des compromis durables dans un paysage politique éclaté. Pour François Bayrou, l’heure est à la survie plus qu’à la réforme. Pour la France, le défi est immense : retrouver le chemin de l’unité nationale et de la confiance démocratique, dans un contexte de recomposition profonde et d’incertitude institutionnelle

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